Transcription
Du mercredi 23e mars,
Je ne veux pas différer plus longtemps, Monsieur, à me donner l’honneur de vous dire que monsieur de Beauvilliers vient de me demander de vos nouvelles et de me charger en mesme temps de l’avertir lorsque vous seriez issi. La raison qu’il m’en a dite est assés obligente, c’est qu’aiant présentement beaucoup d’affaires et estant souvent obligé de faire dire à sa porte qu’on ne luy peut parler, il a peur que si dans ces temps-là vous luy vouliez faire le plaisir de le venir voir, on ne vous renvoyast pas, ce qui seroit contre son intention. C’est pourquoy dès qu’il vous sçaura issi, il donnera ordre à ses gents de vous faire entrer en quelque occupation qu’il puisse estre. Je l’ay remercié de vostre part de cette préférence. Il y avoit aujourd’hui à dîner chez moy en un grand nombre d’illustres prélats qui n’ont esté occupez que de mes petits portraits. Je leur ay dit que je vous en avois toute l’obligation et lorsqu’ils ont sceu que les originaux estoient ou à vous ou approuvez de vous, ils ont regardé mes copies avec une entière confience. Je suis, Monsieur, avec toute la reconnoissance et l’atachement possible vostre très humble et très obéissant serviteur,
Moreau
[Monsieur de Gannières, en son appartement à l'hostel de Guise, rue du Grand Chantier, à Paris]
[De la main de Gaignières: M. Moreau, 23 mars 1695/ M. de Beauvilliers]
Remarques
Denis Moreau, premier valet de chambre du duc de Bourgogne, collectionneur et ami de Gaignières, constitue l'un de ses principaux correspondants. Ils échangent longuement sur leurs collections de portraits. La Princesse Palatine décrit le cabinet de Moreau dans l'une de ses lettres, datée du 23 mars 1702: Hier, l'envie me prit de voir l'appartement de M. Moreau. premier valet de chambre de M. le duc de Bourgogne. . . J'y allai au lieu de me rendre au sermon. C'est petit, mais propre et curieux. Il a quatre petites chambres avec des portraits et des tableaux magnifiques (...). Autour des grands tableaux sont pendus des petits, tous de la même dimension : tous les rois de France depuis François Ier jusqu'à notre Roi, et sous chaque roi les grands hommes, guerriers et savants qui ont vécu de son temps. Il a les portraits de tous les poètes depuis cette époque-là jusqu'à la nôtre ; Malherbe a une affreuse barbe : de même il a les maîtresses de tous ces rois et toutes les reines aussi. Il a un cabinet à part pour notre époque, où se trouvent Mme de Montespan. Mme de La Vallière, Mme de Fontange, Mme de Ludres. Il a aussi Mme de Maintenon, habillée en sainte. De plus, toute la maison royale. Puis, rangés par ordre, tous ceux qui ont gagné des batailles : M. le Prince, le duc d'Harcourt, M. de Turenne et M. de Luxembourg. Sous le cardinal de Richelieu, il a mis tous ceux que celui-ci a fait mourir (...). Sous Henri III se trouvent tous les guis-sarts (sic) et tout ce qui a fait figure au temps de la ligue. . . Il possède de belles et précieuses porcelaines et figurines de bronze. Il a aussi M. Lebrun, Mignard, M. Le Nostre, très ressemblant ; Racine, Corneille, La Fontaine, très ressemblant aussi ; tous les jansénistes, Mme Guion. Je voulus qu'il la mette entre M. de Cambrai et M. de Meaux. Il y avait songé, me dit-il, mais il n'avait pas osé le faire. Il a aussi Rablais (sic), qui a l'air très drôle. . . J'y suis restée toute une heure". (Lettres de Madame Palatine, édition Hubert Juin, 1961, p. 201-202).