Transcription
Du 9 juillet
Je ne sçay, Monsieur, si cette lettre vous trouvera encor à Paris et si le beau temps qu’il fait depuis deux jours ne vous aura point fait entreprendre vostre voyage, c’est cette incertitude qui m’a empesché de vous faire reporter aujourd’huy vos trois portraits, le dernier ayant esté achevé hier, si vous estes encor quelques jours sans partir, ayez la bonté de me le mander, et L’Esveillé ira à Paris et aura l’honneur de vous les rendre et de vous remercier de ma part de cette faveur que vous m’avez bien voulu faire qui me fait un indicible plaisir. M. de Bonrepos n’a point paru issi depuis que vous en estes parti, faites moy la grâce de me mender s’il n’y a rien de nouveau touchant l’affaire qui vous fit passer à SC car j’en suis en peine. M. de Beauvilliers m’a chargé de vous faire ses compliments et de vous mander qu’il est très fâché de ne vous avoir point vu lorsque vous allastes chez luy et qu’une fois il vous prie que toutes les fois que vous voudrés bien vous donner cette peine, vous vous fassiez tousjours nommer et que vous estes du nombre de ceux qui ne l’embarassent jamais. Conservez vous, aimez moy, je vous aime et vous honnore infiniment.
Remarques
Denis Moreau, premier valet de chambre du duc de Bourgogne, collectionneur et ami de Gaignières, constitue l'un de ses principaux correspondants. Ils échangent longuement sur leurs collections de portraits. La Princesse Palatine décrit le cabinet de Moreau dans l'une de ses lettres, datée du 23 mars 1702: Hier, l'envie me prit de voir l'appartement de M. Moreau. premier valet de chambre de M. le duc de Bourgogne. . . J'y allai au lieu de me rendre au sermon. C'est petit, mais propre et curieux. Il a quatre petites chambres avec des portraits et des tableaux magnifiques (...). Autour des grands tableaux sont pendus des petits, tous de la même dimension : tous les rois de France depuis François Ier jusqu'à notre Roi, et sous chaque roi les grands hommes, guerriers et savants qui ont vécu de son temps. Il a les portraits de tous les poètes depuis cette époque-là jusqu'à la nôtre ; Malherbe a une affreuse barbe : de même il a les maîtresses de tous ces rois et toutes les reines aussi. Il a un cabinet à part pour notre époque, où se trouvent Mme de Montespan. Mme de La Vallière, Mme de Fontange, Mme de Ludres. Il a aussi Mme de Maintenon, habillée en sainte. De plus, toute la maison royale. Puis, rangés par ordre, tous ceux qui ont gagné des batailles : M. le Prince, le duc d'Harcourt, M. de Turenne et M. de Luxembourg. Sous le cardinal de Richelieu, il a mis tous ceux que celui-ci a fait mourir (...). Sous Henri III se trouvent tous les guis-sarts (sic) et tout ce qui a fait figure au temps de la ligue. . . Il possède de belles et précieuses porcelaines et figurines de bronze. Il a aussi M. Lebrun, Mignard, M. Le Nostre, très ressemblant ; Racine, Corneille, La Fontaine, très ressemblant aussi ; tous les jansénistes, Mme Guion. Je voulus qu'il la mette entre M. de Cambrai et M. de Meaux. Il y avait songé, me dit-il, mais il n'avait pas osé le faire. Il a aussi Rablais (sic), qui a l'air très drôle. . . J'y suis restée toute une heure". (Lettres de Madame Palatine, édition Hubert Juin, 1961, p. 201-202).
Bibliographie
Grandmaison (Charles de), "Gaignières, ses correspondants et ses collections de portraits", Bibliothèque de l'Ecole des chartes, t. LII, 1891, p. 183