Transcription
Du 13 mars à Versailles
Dans le moment que je receuvois vostre lettre, Monsieur, j’avois la plume à la main pour vous dire que j’avois l’hordre de monsegneur de vous faire faire une copie de son portrait qui est le plus beau que Rigaud ait jamais fait et comme je croy me resouvenir que vous aviez un (sic) bordure qui attendoit ce tableau-là, je voulois vous prier de m’en envoyer la mesure afin que je le fasse faire telle qu’il vous le faut, je suis bien fâché du tourment que vos palpitations vous font souffrir. Je suis bien plus propre à vous plaindre qu’un autre, moy qui en suis très souvent à la mort, je ne sçay à ce mal d’autre parti que celuy de la patience, n’ayent trouvé que de l’ignorence dans ceux que j’ay consultés dans les commencements, je croyois aller mourir, dans la suitte, je me suis familiarisé avec ce mal, tâchant de suporter avec courage ces accès et quand ils sont finis d’en louer le seigneur, je n’y sçay rien d’autre chose et de tâcher d’éviter le chagrin de tout nostre possible, un petit mot de réponce et soyez bien persuadé que vous n’avez au monde personne qui vous honnore et pour parler plus selon mon coeur, qui vous aime tant que moy.
Remarques
Denis Moreau, premier valet de chambre du duc de Bourgogne, collectionneur et ami de Gaignières, constitue l'un de ses principaux correspondants. Ils échangent longuement sur leurs collections de portraits. La Princesse Palatine décrit le cabinet de Moreau dans l'une de ses lettres, datée du 23 mars 1702: "Hier, l'envie me prit de voir l'appartement de M. Moreau. premier valet de chambre de M. le duc de Bourgogne. . . J'y allai au lieu de me rendre au sermon. C'est petit, mais propre et curieux. Il a quatre petites chambres avec des portraits et des tableaux magnifiques (...). Autour des grands tableaux sont pendus des petits, tous de la même dimension : tous les rois de France depuis François Ier jusqu'à notre Roi, et sous chaque roi les grands hommes, guerriers et savants qui ont vécu de son temps. Il a les portraits de tous les poètes depuis cette époque-là jusqu'à la nôtre ; Malherbe a une affreuse barbe : de même il a les maîtresses de tous ces rois et toutes les reines aussi. Il a un cabinet à part pour notre époque, où se trouvent Mme de Montespan. Mme de La Vallière, Mme de Fontange, Mme de Ludres. Il a aussi Mme de Maintenon, habillée en sainte. De plus, toute la maison royale. Puis, rangés par ordre, tous ceux qui ont gagné des batailles : M. le Prince, le duc d'Harcourt, M. de Turenne et M. de Luxembourg. Sous le cardinal de Richelieu, il a mis tous ceux que celui-ci a fait mourir (...). Sous Henri III se trouvent tous les guis-sarts (sic) et tout ce qui a fait figure au temps de la ligue. . . Il possède de belles et précieuses porcelaines et figurines de bronze. Il a aussi M. Lebrun, Mignard, M. Le Nostre, très ressemblant ; Racine, Corneille, La Fontaine, très ressemblant aussi ; tous les jansénistes, Mme Guion. Je voulus qu'il la mette entre M. de Cambrai et M. de Meaux. Il y avait songé, me dit-il, mais il n'avait pas osé le faire. Il a aussi Rablais (sic), qui a l'air très drôle. . . J'y suis restée toute une heure". (Lettres de Madame Palatine, édition Hubert Juin, 1961, p. 201-202).
Bibliographie
Grandmaison (Charles de), "Gaignières, ses correspondants et ses collections de portraits", Bibliothèque de l'Ecole des chartes, t. LII, 1891, p. 183