Transcription
Du 17, à Bayonne
Que dirés vous, mon cher monsieur, du long temps que j'ay esté à faire réponce à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'escrire, je suis seur que vous m'excusés et que cette apparente négligence vous fait consevoir l'acablement dans lequel je suis iscy. J'y pase ma vie à estre continuellement en faction et présenter à tout moment à monseigneur le duc de Bourgogne des Espagnols, des Catalans, des Italiens et des Flamans. N'esse pas là une charmante ocupation ? Joygnez à cela l'effroyable temps qu'il fait qui atriste tout le monde car depuis quinze jours il n'a pas cessé de pleuvoir, de manière que l'on ne peut sortir pour dîner qu'on ne soit percé de pluie, mais toutes ces choses sont des bagatelles quand on les compare à la triste nouvelle que nous receumes avant-hier de la mort surprenante du pauvre M. de Barbezieux. Je ne pouvois pas faire une plus grande perte, je l'auray longtemps présente. Je plains fort madame sa mère. Nos princes vont voir un combat de toreaux où je n'iray pas car je ne songe à rien moins qu'à me divertir. Nous partons mercredi pour Saint-Jean-de-Lux (sic) où nous espérons n'estre que trois jours, après lesquels nous reviendrons sur nos pas. Je viens de dîner chez M. le maréchal de Noailles qui ne s'est jamais mieux porté non plus que M. le comte d'Ayen. Si vous voyez Mme la Maréchal (sic), faites luy bien ma cour et me croyez plus à vous qu'à moy-mesme. Je voudrois bien sçavoir si vos appartements sont loués.
Remarques
Denis Moreau, premier valet de chambre du duc de Bourgogne, collectionneur et ami de Gaignières, constitue l'un de ses principaux correspondants. Ils échangent longuement sur leurs collections de portraits. La Princesse Palatine décrit le cabinet de Moreau dans l'une de ses lettres, datée du 23 mars 1702: Hier, l'envie me prit de voir l'appartement de M. Moreau. premier valet de chambre de M. le duc de Bourgogne. . . J'y allai au lieu de me rendre au sermon. C'est petit, mais propre et curieux. Il a quatre petites chambres avec des portraits et des tableaux magnifiques (...). Autour des grands tableaux sont pendus des petits, tous de la même dimension : tous les rois de France depuis François Ier jusqu'à notre Roi, et sous chaque roi les grands hommes, guerriers et savants qui ont vécu de son temps. Il a les portraits de tous les poètes depuis cette époque-là jusqu'à la nôtre ; Malherbe a une affreuse barbe : de même il a les maîtresses de tous ces rois et toutes les reines aussi. Il a un cabinet à part pour notre époque, où se trouvent Mme de Montespan. Mme de La Vallière, Mme de Fontange, Mme de Ludres. Il a aussi Mme de Maintenon, habillée en sainte. De plus, toute la maison royale. Puis, rangés par ordre, tous ceux qui ont gagné des batailles : M. le Prince, le duc d'Harcourt, M. de Turenne et M. de Luxembourg. Sous le cardinal de Richelieu, il a mis tous ceux que celui-ci a fait mourir (...). Sous Henri III se trouvent tous les guis-sarts (sic) et tout ce qui a fait figure au temps de la ligue. . . Il possède de belles et précieuses porcelaines et figurines de bronze. Il a aussi M. Lebrun, Mignard, M. Le Nostre, très ressemblant ; Racine, Corneille, La Fontaine, très ressemblant aussi ; tous les jansénistes, Mme Guion. Je voulus qu'il la mette entre M. de Cambrai et M. de Meaux. Il y avait songé, me dit-il, mais il n'avait pas osé le faire. Il a aussi Rablais (sic), qui a l'air très drôle. . . J'y suis restée toute une heure". (Lettres de Madame Palatine, édition Hubert Juin, 1961, p. 201-202).
Bibliographie
Grandmaison (Charles de), "Gaignières, ses correspondants et ses collections de portraits", Bibliothèque de l'Ecole des chartes, t. LII, 1891, p. 183