Transcription
J’ay receu, Monsieur, et en mesme temps envoyé, vous pouvez estre asseuré. Je vous rend mil et mil graces de vostre Henri III, vous m’aviez dit que vous ne croyez pas en avoir un. Je serois un ingrat si je ne me resouvenois continuellement et avec des ressentiments de reconnoissance que toute la douceur de la vie que je passe issi vient uniquement du commerce que j’ay avec vous et des secours que vous m’avez donné par la communication de vos petits portraits. Ne me faites dont pas l’injustice de me croire un bouru car je ne le pourois estre avec vous sans en mesme temps estre un méconnoissant et par conséquent un lâche, ce que je ne seray de ma vie. Je rencontray hier matin monsieur de Coullange, auquel je dis les obligations que je vous avois. Il vint voir mes portraits et parut en estre fort content. Je luy dis que vous aviez la bonté de me chercher un Henri III parce que vous n’en aviez point et il me dit qu’il en avoit un et que dès le soir mesme il me l’apporteroit parce qu’il alloit à Paris pour revenir le mesme jour et effectivement à 7 heures du soir je le vis entrer avec deux Henri 3, l’un à l’huille et l’autre en miniature. J’ay gardé celuy qui est à huile qui est très semblable au vostre, à la réserve qu’il est en grand. Il m’offrit tout son cabinet à faire copier ce qui (sic) dit n’avoir fait encore pour personne. Si par hazard vous le rencontrés, je vous suplie de luy marquer que vous m’avez veu tout à fait touché de ses honnestetez. Je croy que vous sçavez la nouvelle dignité de monsieur le duc de Guiche. Je vous donne le bon jour et vous prie de vous conserver et de m’aimer, c’est de quoy je ne peux me passer.
Remarques
Denis Moreau, premier valet de chambre du duc de Bourgogne, collectionneur et ami de Gaignières, constitue l'un de ses principaux correspondants. Ils échangent longuement sur leurs collections de portraits. La Princesse Palatine décrit le cabinet de Moreau dans l'une de ses lettres, datée du 23 mars 1702: "Hier, l'envie me prit de voir l'appartement de M. Moreau. premier valet de chambre de M. le duc de Bourgogne. . . J'y allai au lieu de me rendre au sermon. C'est petit, mais propre et curieux. Il a quatre petites chambres avec des portraits et des tableaux magnifiques (...). Autour des grands tableaux sont pendus des petits, tous de la même dimension : tous les rois de France depuis François Ier jusqu'à notre Roi, et sous chaque roi les grands hommes, guerriers et savants qui ont vécu de son temps. Il a les portraits de tous les poètes depuis cette époque-là jusqu'à la nôtre ; Malherbe a une affreuse barbe : de même il a les maîtresses de tous ces rois et toutes les reines aussi. Il a un cabinet à part pour notre époque, où se trouvent Mme de Montespan. Mme de La Vallière, Mme de Fontange, Mme de Ludres. Il a aussi Mme de Maintenon, habillée en sainte. De plus, toute la maison royale. Puis, rangés par ordre, tous ceux qui ont gagné des batailles : M. le Prince, le duc d'Harcourt, M. de Turenne et M. de Luxembourg. Sous le cardinal de Richelieu, il a mis tous ceux que celui-ci a fait mourir (...). Sous Henri III se trouvent tous les guis-sarts (sic) et tout ce qui a fait figure au temps de la ligue. . . Il possède de belles et précieuses porcelaines et figurines de bronze. Il a aussi M. Lebrun, Mignard, M. Le Nostre, très ressemblant ; Racine, Corneille, La Fontaine, très ressemblant aussi ; tous les jansénistes, Mme Guion. Je voulus qu'il la mette entre M. de Cambrai et M. de Meaux. Il y avait songé, me dit-il, mais il n'avait pas osé le faire. Il a aussi Rablais (sic), qui a l'air très drôle. . . J'y suis restée toute une heure". (Lettres de Madame Palatine, édition Hubert Juin, 1961, p. 201-202).
Bibliographie
Grandmaison (Charles de), "Gaignières, ses correspondants et ses collections de portraits", Bibliothèque de l'Ecole des chartes, t. LII, 1891, p. 183