Transcription
Du 14 avril
Je suis, Monsieur, bien fâché de vous sçavoir du nombre des enrumez. Je me suis mêlé depuis trois jours de l'augmenter, ce qui me met encor plus en estat de vous plaindre et de vous prier de vous conserver. Je ne suis point du tout pressé des lunettes que j'ay pris la liberté de vous demander. Je vous suplie de bien remercier M. le président de Blaisy de l'honneur de son souvenir et de l'asseurer que j'y suis fort sensible et que si je disposois de mon temps, j'yrois exprès à Paris luy tesmoygner ma reconnoissance. Je ne sçay où M. de Chanteloup se cache quand il est issi mais depuis qu'il y est je ne l'ay point rencontré. Dès qu'il paroistra je luy feray vos compliments. Voilà enfin cette chanson latine que nous attendons depuis si longtemps. Je la croiois plus longue mais je me trompois et elle ne contient que ces deux lignes. Je vous donne le bonjour et vous jeure que l'on ne peut estre à vous plus véritablement que moy. Si M. le président de Blaisi vient issi, faites le moy sçavoir afin que j'y sois à coup seur.
Remarques
Denis Moreau, premier valet de chambre du duc de Bourgogne, collectionneur et ami de Gaignières, constitue l'un de ses principaux correspondants. Ils échangent longuement sur leurs collections de portraits. La Princesse Palatine décrit le cabinet de Moreau dans l'une de ses lettres, datée du 23 mars 1702: Hier, l'envie me prit de voir l'appartement de M. Moreau. premier valet de chambre de M. le duc de Bourgogne. . . J'y allai au lieu de me rendre au sermon. C'est petit, mais propre et curieux. Il a quatre petites chambres avec des portraits et des tableaux magnifiques (...). Autour des grands tableaux sont pendus des petits, tous de la même dimension : tous les rois de France depuis François Ier jusqu'à notre Roi, et sous chaque roi les grands hommes, guerriers et savants qui ont vécu de son temps. Il a les portraits de tous les poètes depuis cette époque-là jusqu'à la nôtre ; Malherbe a une affreuse barbe : de même il a les maîtresses de tous ces rois et toutes les reines aussi. Il a un cabinet à part pour notre époque, où se trouvent Mme de Montespan. Mme de La Vallière, Mme de Fontange, Mme de Ludres. Il a aussi Mme de Maintenon, habillée en sainte. De plus, toute la maison royale. Puis, rangés par ordre, tous ceux qui ont gagné des batailles : M. le Prince, le duc d'Harcourt, M. de Turenne et M. de Luxembourg. Sous le cardinal de Richelieu, il a mis tous ceux que celui-ci a fait mourir (...). Sous Henri III se trouvent tous les guis-sarts (sic) et tout ce qui a fait figure au temps de la ligue. . . Il possède de belles et précieuses porcelaines et figurines de bronze. Il a aussi M. Lebrun, Mignard, M. Le Nostre, très ressemblant ; Racine, Corneille, La Fontaine, très ressemblant aussi ; tous les jansénistes, Mme Guion. Je voulus qu'il la mette entre M. de Cambrai et M. de Meaux. Il y avait songé, me dit-il, mais il n'avait pas osé le faire. Il a aussi Rablais (sic), qui a l'air très drôle. . . J'y suis restée toute une heure". (Lettres de Madame Palatine, édition Hubert Juin, 1961, p. 201-202).
Bibliographie
Grandmaison (Charles de), "Gaignières, ses correspondants et ses collections de portraits", Bibliothèque de l'Ecole des chartes, t. LII, 1891, p. 183