Transcription
Du 18 à Poytiers,
La prodigieuse quantité de peuple qui accable continuellement et partout le roy d’Espagne et mesegneurs ses freres ont empesché que monsieur le duc de Bourgogne n’ait profité des bons avis que vous m’aviez donné pour luy faire remarquer la belle entiquité qui est dans la catédralle, quelque attention mesme que nous aïons eu, monsieur des Granges et moy, il nous a esté du tout impossible de luy faire marquer aux chanoines de la catédrale le bon gré qu’il leur sçavoit par raport à vous, ils n’ont paru que dans leur église leur evesque à leur teste et n’ont point aproché de mon maître. J’en suis en vérité bien fâché, j’avois cette commission très fort à coeur et suis au désespoir de n’y avoir pu réussir. Vous ne devez pas m’en aimer moins. Nous sommes dans la plus vilaine ville de l’univers, toujours accablés de vilain peuple et de crotes. M. le mareschal de Noailles et M. le comte d’Ayen se portent bien. Vostre maison est-elle louée ? Je vous aime comme moy mesme.
Remarques
Denis Moreau, premier valet de chambre du duc de Bourgogne, collectionneur et ami de Gaignières, constitue l'un de ses principaux correspondants. Ils échangent longuement sur leurs collections de portraits. La Princesse Palatine décrit le cabinet de Moreau dans l'une de ses lettres, datée du 23 mars 1702: Hier, l'envie me prit de voir l'appartement de M. Moreau. premier valet de chambre de M. le duc de Bourgogne. . . J'y allai au lieu de me rendre au sermon. C'est petit, mais propre et curieux. Il a quatre petites chambres avec des portraits et des tableaux magnifiques (...). Autour des grands tableaux sont pendus des petits, tous de la même dimension : tous les rois de France depuis François Ier jusqu'à notre Roi, et sous chaque roi les grands hommes, guerriers et savants qui ont vécu de son temps. Il a les portraits de tous les poètes depuis cette époque-là jusqu'à la nôtre ; Malherbe a une affreuse barbe : de même il a les maîtresses de tous ces rois et toutes les reines aussi. Il a un cabinet à part pour notre époque, où se trouvent Mme de Montespan. Mme de La Vallière, Mme de Fontange, Mme de Ludres. Il a aussi Mme de Maintenon, habillée en sainte. De plus, toute la maison royale. Puis, rangés par ordre, tous ceux qui ont gagné des batailles : M. le Prince, le duc d'Harcourt, M. de Turenne et M. de Luxembourg. Sous le cardinal de Richelieu, il a mis tous ceux que celui-ci a fait mourir (...). Sous Henri III se trouvent tous les guis-sarts (sic) et tout ce qui a fait figure au temps de la ligue. . . Il possède de belles et précieuses porcelaines et figurines de bronze. Il a aussi M. Lebrun, Mignard, M. Le Nostre, très ressemblant ; Racine, Corneille, La Fontaine, très ressemblant aussi ; tous les jansénistes, Mme Guion. Je voulus qu'il la mette entre M. de Cambrai et M. de Meaux. Il y avait songé, me dit-il, mais il n'avait pas osé le faire. Il a aussi Rablais (sic), qui a l'air très drôle. . . J'y suis restée toute une heure". (Lettres de Madame Palatine, édition Hubert Juin, 1961, p. 201-202).
Bibliographie
Grandmaison (Charles de), "Gaignières, ses correspondants et ses collections de portraits", Bibliothèque de l'Ecole des chartes, t. LII, 1891, p. 183