Transcription
A Marli, du premier may,
Si je ne me donne pas si souvent l’honneur de vous escrire, Monsieur, je vous asseure que vous n’en estes pas moins ny dans ma mémoire, ny dans mon coeur. Il ne se passe pas un seul jour que nous ne sélébrions vostre mérite et que ne beuvions [à] vostre santé, M. de Coullange et moy. Je suis ravi de vostre dernière acquisition et je vous en fais mes compliments. Il m’est impossible de faire iscy les vostres à monsieur de Louville, et très difficille de les luy faire à Versailles à moins que mon estat ne change excessivement. Pour ce qui est de mon pintre, je croy sans luy avoir parlé, vous pouvoir répondre qu’il racommodera mieux qu’un autre le mareschal de la Palice. Je vous plains bien, connoissant par expérience les fatigues d’un déménagement. Je voudrois bien vous pouvoir soulager. Nous sommes encore iscy jusqu’au huit de may. Il n’y a rien de nouveau que le mariage de monsieur le marquis de la Vrillère avec mademoiselle de Mailli qui a douze ans. Conservez moy tousjours une place dans vostre coeur, je n’en suis pas indigne si on la peut mériter en vous aimant et vous honnorent infiniment.
Remarques
Denis Moreau, premier valet de chambre du duc de Bourgogne, collectionneur et ami de Gaignières, constitue l'un de ses principaux correspondants. Ils échangent longuement sur leurs collections de portraits. La Princesse Palatine décrit le cabinet de Moreau dans l'une de ses lettres, datée du 23 mars 1702: "Hier, l'envie me prit de voir l'appartement de M. Moreau. premier valet de chambre de M. le duc de Bourgogne. . . J'y allai au lieu de me rendre au sermon. C'est petit, mais propre et curieux. Il a quatre petites chambres avec des portraits et des tableaux magnifiques (...). Autour des grands tableaux sont pendus des petits, tous de la même dimension : tous les rois de France depuis François Ier jusqu'à notre Roi, et sous chaque roi les grands hommes, guerriers et savants qui ont vécu de son temps. Il a les portraits de tous les poètes depuis cette époque-là jusqu'à la nôtre ; Malherbe a une affreuse barbe : de même il a les maîtresses de tous ces rois et toutes les reines aussi. Il a un cabinet à part pour notre époque, où se trouvent Mme de Montespan. Mme de La Vallière, Mme de Fontange, Mme de Ludres. Il a aussi Mme de Maintenon, habillée en sainte. De plus, toute la maison royale. Puis, rangés par ordre, tous ceux qui ont gagné des batailles : M. le Prince, le duc d'Harcourt, M. de Turenne et M. de Luxembourg. Sous le cardinal de Richelieu, il a mis tous ceux que celui-ci a fait mourir (...). Sous Henri III se trouvent tous les guis-sarts (sic) et tout ce qui a fait figure au temps de la ligue. . . Il possède de belles et précieuses porcelaines et figurines de bronze. Il a aussi M. Lebrun, Mignard, M. Le Nostre, très ressemblant ; Racine, Corneille, La Fontaine, très ressemblant aussi ; tous les jansénistes, Mme Guion. Je voulus qu'il la mette entre M. de Cambrai et M. de Meaux. Il y avait songé, me dit-il, mais il n'avait pas osé le faire. Il a aussi Rablais (sic), qui a l'air très drôle. . . J'y suis restée toute une heure". (Lettres de Madame Palatine, édition Hubert Juin, 1961, p. 201-202).
Bibliographie
Grandmaison (Charles de), "Gaignières, ses correspondants et ses collections de portraits", Bibliothèque de l'Ecole des chartes, t. LII, 1891, p. 183