Transcription
Du 4,
Il n’est pas permis d’estre iscy plus longtemps sans vous faire sçavoir de mes nouvelles, et sans vous prier, mon cher Monsieur, de me faire sçavoir des vostres. Nous sommes continuellement ocupés du spectable (sic) d’une des plus belles armées que l’on ait encor vu, et dans laquelle il est presque impossible de se distinguer en bien, tous les officiers aient fait également des dépences extraordinaires, sependant monsieur le comte d’Ayen a mis son régiment et particulièrement sa compagnie en si bon estat que tout le monde convient que c’est un des plus beaux corps de l’armée. Il est en bonne santé aussi bien que toute sa famille. Je vous porteray des plans et des cartes de nostre camp, comme je ne suis pas extrêmement ocupé de la guerre. Je pence souvent à mes petits portraits. N’auriez vous point dans vos estempes une teste de l’abbé de Saint-Ciran, ce fameux jancéniste, vous me feriez grand plaisir de me la prester à mon retour. Je vous recommende aussi de secourir ma nouvelle passion pour les métresses des rois, car après vos bonnes grâces, c’est ce qui me tient présentement le plus au coeur.
Remarques
Denis Moreau, premier valet de chambre du duc de Bourgogne, collectionneur et ami de Gaignières, constitue l'un de ses principaux correspondants. Ils échangent longuement sur leurs collections de portraits. La Princesse Palatine décrit le cabinet de Moreau dans l'une de ses lettres, datée du 23 mars 1702: "Hier, l'envie me prit de voir l'appartement de M. Moreau. premier valet de chambre de M. le duc de Bourgogne. . . J'y allai au lieu de me rendre au sermon. C'est petit, mais propre et curieux. Il a quatre petites chambres avec des portraits et des tableaux magnifiques (...). Autour des grands tableaux sont pendus des petits, tous de la même dimension : tous les rois de France depuis François Ier jusqu'à notre Roi, et sous chaque roi les grands hommes, guerriers et savants qui ont vécu de son temps. Il a les portraits de tous les poètes depuis cette époque-là jusqu'à la nôtre ; Malherbe a une affreuse barbe : de même il a les maîtresses de tous ces rois et toutes les reines aussi. Il a un cabinet à part pour notre époque, où se trouvent Mme de Montespan. Mme de La Vallière, Mme de Fontange, Mme de Ludres. Il a aussi Mme de Maintenon, habillée en sainte. De plus, toute la maison royale. Puis, rangés par ordre, tous ceux qui ont gagné des batailles : M. le Prince, le duc d'Harcourt, M. de Turenne et M. de Luxembourg. Sous le cardinal de Richelieu, il a mis tous ceux que celui-ci a fait mourir (...). Sous Henri III se trouvent tous les guis-sarts (sic) et tout ce qui a fait figure au temps de la ligue. . . Il possède de belles et précieuses porcelaines et figurines de bronze. Il a aussi M. Lebrun, Mignard, M. Le Nostre, très ressemblant ; Racine, Corneille, La Fontaine, très ressemblant aussi ; tous les jansénistes, Mme Guion. Je voulus qu'il la mette entre M. de Cambrai et M. de Meaux. Il y avait songé, me dit-il, mais il n'avait pas osé le faire. Il a aussi Rablais (sic), qui a l'air très drôle. . . J'y suis restée toute une heure". (Lettres de Madame Palatine, édition Hubert Juin, 1961, p. 201-202).
Bibliographie
Grandmaison (Charles de), "Gaignières, ses correspondants et ses collections de portraits", Bibliothèque de l'Ecole des chartes, t. LII, 1891, p. 183