Transcription
Vous m’obligés sensiblement, Monsieur, en m’ostant l’espérance de vous voir ici pendant l’absence de la cour. J’y suis tout à fait mal logé. On y trouve malaisément de quoy donner à manger à ses amis et malgré tout cela je me fesois un plaisir de vous y attendre, persuadé que vous n’y viendriés chercher q’un cœur plein d’estime, de confiance et d’amitié pour vous, ce que vous y trouverés asseurément tant que j’y seray. Faittes, je vous prie quelque effort pour y venir faire un tour et songés enfin que vous m’avés promis d’y venir interrompre ma solitude qui est plus profonde que vous ne pouvés vous imaginer et pas assés néantmoins pour que j’en puisse profitter. Je n’y auray aucun plaisir si vous ne me faittes celuy de m’y venir voir, mais je me trompe, j’y ay desjà eu celuy de recevoir la lettre que vous m’avés fait l’honneur de m’écrire et j’en ay, je vous assure, beaucoup à vous y faire responce et à vous témoigner que personne au monde ne vous estime et ne vous aime plus que je fais. Ne me croyés point si instruit de ce qui se passe dans le monde, j’en suis dans une ignorance qui n’est pas imaginable et vous me ferés plaisir de m’en mander des nouvelles mais comme à un campagnard que vous croiriés n’en sçavoir aucunes. Je le suis en effet et depuis près de trois semaines que je suis à Clagny où je ne vois personne. Je ne suis sorty q’une seule fois pour accompagner M. le comte de Toulouse chés M. le duc de Bourgogne. Jugés là-dessus de ma capacité sur les affaires du monde. Je prends beaucoup de part à ce que vous m’avés mandé de l’hostel de Noailles. Voilà deux morts près l’une de l’autre. Pour ce qui est des reproches que vous me mandés avoir essuyés de madame la duchesse, je crois que vous les grossissés pour m’obliger à vous en tenir compte. Si elle avoit eu néantmoins quelque chose à m’ordonner, je serois véritablement fasché de n’avoir point resté plus longtemps chés elle. Vous sçavés à quel point j’honore toutte la maison et combien je suis sensible à cet air de vertu et de probité qui y règne, si fort contre l’ordinaire des maisons de la cour où l’on en voit de bien opposés. Le sujet est trop ample pour l’épuiser dans une lettre. Je ne prétends pas non plus vous y pouvoir dire tout ce que je pense et tout ce que je sens pour vous mais seulement, Monsieur, vous prier de m’aymer et de crois que vous n’avés point d’amy plus zélé et plus sincère, ny de serviteur plus acquis que
L’abbé Girard
A Clagny, ce mercredy 10 may 1684